Intolérance alimentaire primaire et secondaire : comprendre les différences
Rédaction : Anne-Christine DUSS, Nutritionniste
Les troubles du comportement alimentaire (TCA) sont des pathologies complexes qui englobent des comportements alimentaires anormaux et des attitudes dysfonctionnelles à l’égard de la nourriture, du corps et de l’image de soi. Les principaux types de TCA incluent l’anorexie mentale, la boulimie et l’hyperphagie, mais il est essentiel de comprendre que ces comportements ne sont pas les causes premières du trouble. En réalité, ce sont des symptômes qui signalent des dysfonctionnements plus profonds au niveau psychologique, émotionnel et biologique.
Les troubles digestifs liés aux intolérances alimentaires sont de plus en plus fréquemment évoqués dans les consultations médicales et nutritionnelles. Ballonnements, diarrhées, douleurs abdominales, fatigue postprandiale : ces symptômes peuvent orienter vers une mauvaise digestion ou absorption de certains nutriments. Toutefois, toutes les intolérances n’ont pas la même origine ni la même signification. On distingue classiquement l’intolérance primaire, liée à des facteurs génétiques et physiologiques, et l’intolérance secondaire, conséquence d’une pathologie ou d’une agression du système digestif.
Comprendre ces deux mécanismes permet de mieux adapter la prise en charge et d’éviter des restrictions inutiles.
1. Définition générale de l’intolérance alimentaire
Une intolérance alimentaire se caractérise par une difficulté à digérer ou absorber un composant alimentaire précis, entraînant des symptômes digestifs et parfois systémiques. Contrairement à l’allergie alimentaire, elle ne met pas en jeu le système immunitaire de manière immédiate et ne provoque pas de réaction anaphylactique [Catassi & Fasano, 2008].
Parmi les intolérances les plus connues, on retrouve :
- l’intolérance au lactose,
- l’intolérance au fructose,
- l’intolérance au sorbitol,
- l’intolérance au gluten (non cœliaque).
Ces intolérances se divisent ensuite en deux grandes catégories : primaires et secondaires.
2. L’intolérance primaire
2.1. Définition
L’intolérance primaire est d’origine génétique ou physiologique. Elle correspond à une incapacité innée, programmée dans le patrimoine génétique, à digérer un aliment ou un nutriment. Elle apparaît souvent progressivement au cours de la vie, car certains enzymes digestifs déclinent naturellement avec l’âge [Misselwitz et al., 2013].
2.2. Exemple emblématique : l’intolérance primaire au lactose
Le lactose, sucre du lait, doit être dégradé dans l’intestin grêle par une enzyme appelée lactase. Chez la majorité des mammifères, la production de lactase diminue après le sevrage. Ainsi, l’adulte devient incapable de digérer correctement le lactose, ce qui entraîne ballonnements, diarrhées et douleurs [Lomer et al., 2008].
Chez l’être humain, une mutation génétique est survenue il y a environ 7 000 ans en Europe, permettant la persistance de la lactase à l’âge adulte. Mais cette mutation n’est pas universelle : dans de nombreuses populations (Afrique subsaharienne, Asie, Amérique du Sud), la majorité des adultes perdent leur capacité à digérer le lactose [Enattah et al., 2002]. C’est donc un exemple typique d’intolérance primaire.
2.3. Autres exemples
- Intolérance héréditaire au fructose : rare maladie génétique due à un déficit enzymatique dans le métabolisme du fructose [Odièvre et al., 1978].
- Maladies métaboliques rares (ex. galactosémie, phénylcétonurie) où l’organisme ne peut pas transformer certains sucres ou acides aminés [Walter et al., 2002].
2.4. Caractéristiques de l’intolérance primaire
- Origine génétique ou physiologique.
- Présente dès l’enfance ou apparaissant avec l’âge.
- Persistante à vie.
- La prise en charge repose sur une adaptation alimentaire durable (ex. réduction du lactose).
3. L’intolérance secondaire
3.1. Définition
L’intolérance secondaire est consécutive à une maladie, une inflammation, une infection ou une lésion de l’intestin. Ici, l’appareil digestif n’est pas incapable par nature de digérer le nutriment, mais il est temporairement fragilisé [Heyman, 2006].
3.2. Exemple typique : l’intolérance secondaire au lactose
Lors d’une gastro-entérite virale, d’une maladie cœliaque non traitée ou d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI), les cellules de la muqueuse intestinale (entérocytes) sont endommagées. Or, ce sont elles qui produisent la lactase. La digestion du lactose devient alors transitoirement impossible. Une fois la muqueuse réparée, la tolérance au lactose peut revenir [Vesa et al., 1996].
3.3. Autres exemples
- Intolérance secondaire au gluten : dans le cadre de maladies inflammatoires, certaines personnes non cœliaques développent une hypersensibilité digestive passagère [Catassi et al., 2013].
- Intolérance au fructose secondaire : fréquente après des chirurgies digestives, une prolifération bactérienne (SIBO) ou un syndrome de l’intestin irritable [Choi et al., 2003].
- Intolérances liées à la prise de médicaments : certains antibiotiques ou anti-inflammatoires peuvent endommager la muqueuse et entraîner une mauvaise absorption transitoire de certains nutriments [Hammer et al., 2018].
3.4. Caractéristiques de l’intolérance secondaire
- Survient après une agression de l’intestin (infection, inflammation, chirurgie, médicament).
- Peut être transitoire si la muqueuse se répare.
- Parfois réversible totalement, parfois partiellement.
- La prise en charge inclut le traitement de la cause sous-jacente (ex. soigner la maladie cœliaque, traiter une infection).
4. Différences majeures entre intolérance primaire et secondaire
5. Impact sur la vie quotidienne
5.1. Diagnostic
L’intolérance primaire se confirme par des tests génétiques ou par un test respiratoire à l’hydrogène [Rao et al., 1994].
L’intolérance secondaire nécessite une anamnèse détaillée (historique des maladies digestives, infections, traitements) et parfois des examens complémentaires (endoscopie, bilan sanguin, analyse du microbiote, …).
5.2. Alimentation
- Dans l’intolérance primaire, l’éviction ou la réduction de l’aliment concerné doit être durable. Exemple : remplacer le lait par des alternatives végétales ou du lait sans lactose (si toléré).
- Dans l’intolérance secondaire, l’éviction est souvent temporaire : on réintroduit progressivement l’aliment une fois la muqueuse intestinale rétablie.
5.3. Psychologie et relation à l’alimentation
La confusion entre intolérance primaire et secondaire peut mener à des régimes d’exclusion trop stricts. Par exemple, un enfant ayant mal digéré le lait après une gastro-entérite peut être considéré à tort comme intolérant au lactose « à vie », ce qui complique inutilement son alimentation [Heyman, 2006].
6. Importance d’une prise en charge adaptée
Une bonne compréhension de la différence entre primaire et secondaire permet d’éviter :
- les carences nutritionnelles liées à des exclusions alimentaires excessives (calcium, vitamine D en cas d’éviction des produits laitiers),
- les erreurs de diagnostic, comme confondre une intolérance secondaire au lactose avec une allergie au lait ou une maladie cœliaque,
- les restrictions sociales qui pèsent sur la qualité de vie.
La collaboration entre médecin, gastro-entérologue et nutritionniste est essentielle pour établir un plan alimentaire personnalisé et évolutif.
Références :
- Catassi C, Fasano A. Celiac disease as a cause of intestinal food intolerance. Clin Rev Allergy Immunol. 2008;34(2):247-253.
- Catassi C, Bai J, Bonaz B, et al. Non-Celiac Gluten Sensitivity: The New Frontier of Gluten Related Disorders. Nutrients. 2013;5(10):3839-3853.
- Choi YK, Johlin FC, Summers RW, et al. Fructose intolerance: an under-recognized problem. Am J Gastroenterol. 2003;98(6):1348-1353.
- Enattah NS, Sahi T, Savilahti E, et al. Identification of a variant associated with adult-type hypolactasia. Nat Genet. 2002;30(2):233-237.
- Hammer HF, Hammer J. Diarrhea caused by small-intestinal diseases. Curr Opin Gastroenterol. 2018;34(2):93-99.
- Heyman MB. Lactose intolerance in infants, children, and adolescents. Pediatrics. 2006;118(3):1279-1286.
- Lomer MCE, Parkes GC, Sanderson JD. Review article: lactose intolerance in clinical practice—myths and realities. Aliment Pharmacol Ther. 2008;27(2):93-103.
- Misselwitz B, Pohl D, Frühauf H, et al. Lactose malabsorption and intolerance: pathogenesis, diagnosis and treatment. United European Gastroenterol J. 2013;1(3):151-159.
- Odièvre M, Gentil C, Gautier M, Alagille D. Hereditary fructose intolerance in childhood. Diagnosis, management, and course in 55 patients. Am J Dis Child. 1978;132(6):605-608.
- Rao SS, Attaluri A, Anderson L, Stumbo P. Ability of the normal human small intestine to absorb fructose: evaluation with breath testing. Gastroenterology. 1994;105(6):1747-1755.
- Vesa TH, Marteau P, Korpela R. Lactose intolerance. J Am Coll Nutr. 1996;15(6):570-575.
- Walter JH, White FJ, Hall SK, et al. How practical are recommendations for dietary control in phenylketonuria?. Lancet. 2002;360(9326):55-57.