TDAH, émotions refoulées et alimentation émotionnelle : un cercle souvent invisible mais puissant
Rédaction : Anne-Christine DUSS, Nutritionniste
Le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) est un trouble neurodéveloppemental complexe qui va bien au-delà des simples symptômes de distraction ou d’agitation souvent associés à cette condition. Les personnes atteintes de TDAH rencontrent fréquemment des difficultés dans le domaine émotionnel, qui, bien qu’elles ne soient pas toujours reconnues ou traitées, ont un impact majeur sur leur bien-être général et leur qualité de vie. Ces difficultés émotionnelles incluent une hypersensibilité émotionnelle, une impulsivité affective, ainsi qu’un déficit de régulation émotionnelle, qui, en l’absence d’un accompagnement adapté, peuvent mener à des comportements d’auto-apaisement, tels que l’alimentation émotionnelle.
1. L’hypersensibilité émotionnelle : un fonctionnement amplifié
Les personnes atteintes de TDAH vivent souvent leurs émotions avec une intensité accrue, en raison de l’activation systématique des circuits émotionnels dans leur cerveau. Ce phénomène est lié à une hyperactivité du système limbique (responsable de la gestion des émotions) et un dysfonctionnement du cortex préfrontal, qui est impliqué dans la régulation émotionnelle. Par conséquent, une situation ou un stimulus qui pourrait sembler anodin pour quelqu’un sans TDAH peut devenir excessivement perturbant pour une personne avec ce trouble.
L’intensité de ces émotions peut rendre difficile la gestion du stress, de la frustration ou de la tristesse, et ces émotions, mal comprises ou mal régulées, peuvent rapidement se transformer en débordements émotionnels. Face à cette surcharge émotionnelle, certaines personnes peuvent se retrouver dans un état de détresse psychologique, ce qui rend la gestion de l’attention ou des tâches quotidiennes encore plus complexe.
2. L’impulsivité affective : une réactivité immédiate et non régulée
L’impulsivité est un autre trait clé du TDAH, non seulement au niveau comportemental, mais également émotionnel. Les personnes atteintes de TDAH réagissent souvent instantanément aux émotions qu’elles éprouvent, sans avoir le temps de les filtrer ou de les analyser. Cette réactivité immédiate, qui peut se traduire par des éclats de colère, des pleurs ou des rires incontrôlables, fait partie du mécanisme de défaut de régulation émotionnelle.
L’incapacité à temporiser la réponse émotionnelle peut, par exemple, entraîner une colère excessive face à une contrariété mineure, ou une peur irrationnelle face à une situation peu menaçante. En outre, cette impulsivité affective conduit souvent à une difficulté à se remettre d’une émotion négative, la personne restant prisonnière de ses sentiments pendant longtemps, sans parvenir à les apaiser.
3. Le défaut de régulation émotionnelle : la difficulté à faire face à l’intensité émotionnelle
Les personnes avec TDAH ont un déficit dans la régulation de leurs émotions, c’est-à-dire dans leur capacité à gérer, moduler et exprimer de manière appropriée les émotions qui surgissent en réponse à un événement. Ce dysfonctionnement est souvent lié à une faiblesse de l’activité dans le cortex préfrontal, une région du cerveau impliquée dans le contrôle des impulsions et la gestion des émotions.
Le manque de régulation entraîne des oscillations émotionnelles rapides, rendant difficile pour la personne de retrouver un équilibre interne après un coup de stress ou une contrariété. Cette incapacité à réguler les émotions peut mener à un épuisement émotionnel, à une fatigue chronique et à une instabilité de l’humeur. Le cerveau, étant constamment sollicité par des émotions intenses, manque alors de ressources pour se stabiliser, créant ainsi un déséquilibre général.
4. L’alimentation émotionnelle comme stratégie de régulation
C’est dans ce contexte de fragilité émotionnelle que l’alimentation émotionnelle entre en jeu. Pour compenser ce manque de régulation, beaucoup de personnes atteintes de TDAH se tournent vers la nourriture, non pas par faim biologique, mais comme un moyen de gérer l’intensité émotionnelle. La nourriture devient une source de réconfort immédiat, un moyen de se calmer, de retrouver une sensation temporaire de contrôle et de bien-être. Le sucre, les gras et autres aliments réconfortants jouent un rôle dans l’activation du système de récompense du cerveau, en libérant de la dopamine, neurotransmetteur de la motivation et du plaisir, qui vient apaiser l’angoisse ou la frustration.
Cependant, cette stratégie d’auto-apaisement est brièvement efficace, mais souvent contre-productive à long terme. L’usage excessif de la nourriture pour gérer les émotions ne fait que masquer le problème sous-jacent sans résoudre la difficulté fondamentale : la régulation émotionnelle. Cela peut entraîner un cercle vicieux où les émotions non régulées sont constamment compensées par la nourriture, créant ainsi des troubles alimentaires ou un déséquilibre nutritionnel qui impacte la santé physique et mentale.
5. Vers une gestion saine des émotions et de l’alimentation
La clé pour rompre ce cercle vicieux réside dans la rééducation émotionnelle et la réparation de la régulation émotionnelle. Cela passe par :
- L’apprentissage de l’identification et de l’expression des émotions, pour que la personne prenne conscience de ce qu’elle ressent avant qu’il ne soit trop tard.
- La pratique de la pleine conscience (mindfulness) et des techniques de relaxation pour mieux accueillir et traverser les émotions sans se laisser envahir.
- L’auto-compassion, qui permet de diminuer la culpabilité et l’anxiété liées à la gestion des émotions.
- L’accompagnement nutritionnel pour rééquilibrer les habitudes alimentaires, en particulier en réduisant la consommation d’aliments qui déclenchent des compensations émotionnelles.
En développant des stratégies de régulation émotionnelle plus adaptées, les personnes atteintes de TDAH, notamment à Genève, peuvent se détacher de la dépendance à l’alimentation émotionnelle, en apprenant à mieux comprendre et à gérer leurs émotions de manière saine et durable.
Références :
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Un ouvrage classique qui offre une vue d’ensemble complète sur le TDAH, ses manifestations et ses impacts, y compris les difficultés émotionnelles associées.
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Ce livre propose une analyse approfondie des différents aspects du TDAH, y compris ses répercussions émotionnelles, et aborde les stratégies d’adaptation.
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Un article académique qui explore la relation entre l’impulsivité émotionnelle et les symptômes du TDAH, et les impacts possibles sur le bien-être psychologique.
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Cet ouvrage détaille les troubles émotionnels et comportementaux fréquemment rencontrés par les personnes avec TDAH, et propose des approches pour les gérer efficacement.
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Cet article examine comment les enfants atteints de TDAH peuvent être plus vulnérables aux comportements d’alimentation émotionnelle en raison de leurs difficultés à réguler leurs émotions.
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Ce livre traite du lien entre les émotions non régulées et les comportements alimentaires, y compris dans le contexte du TDAH, et présente des solutions thérapeutiques.
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